Voyage en Inde

Il se trouve que j’ai dû pour mon cours de libanais dialectal relater mon voyage en arabe. Et comme un ennui ne vient jamais seul j’ai dû également le typographier. Cette chose faite, je me suis dit que je perdrais une occasion inestimable de me prendre au sérieux si je ne le publiai pas. Je vous présente donc en exclusivité internationale mon premier article en arabe, rempli de fautes d’orthographe et grammaticales. Bonne lecture !

رحلتي ع الهند

سافرت ع الهند حولي عشرين ايام من تلات شهور. كانت الرحلة طويلة كتير لاني زورت عشرين مدينة و الطريق كان اربعة الف كيلوميتر طويل.
اول يوم رحت ع المطار بسيرفيس و رحت ع الكويت مع طيران الكويت. هونيك خدت طيرة تنية من نفس الطيران ع مدينة مومباي. طيرتين طارو كل اللياة و لما وصلت ع مومباي كنت كتير تعبان و كان بدي روح ع الفندق.هلق هلق لانم
لما وصلت ع الفندق ما كان فيي انم هلق هاق لان الاشخاص قولوني ما عرفوني و ما كنا عندي غرفة. نطرت تلات سعات بالصالون و بعدين شخص تني وصلت و كان فيي روح ع رغفتي و نمت هاق هلق. بعدين زورت المدينة القديمة من ايام الانجلزيون و البنية حلوة بس غريب لانو متل الهندسة الهندية و متل الهندسة الانجلزية… وسط المدينة كان كتير حلو و البنية بحب اكتر هي الكنيسة الرءيسة. زورت جزيرة مومباي و شفت هونيك قرود. و بالقارب لما رجعت ع مومباي التقيت شرطي من دهلي كان بده يحكيني بالهندي. بعد نص ساعة لما فهمت يللي ما بحكي الهندي اسالتني اذا كان عندي اولاد و اذا كنت متزوج. جاوبت لا و ما كان مبسوط و بعدين كان بده بالتقي بنات القارب و هيدا كان متزعج.
بعدين ركبت الباص و رحت ع الرجهستان. في كتير قصور بهيدا المنتقة حولي تلات بكل المدينة و احيانا اكتر منها. زورت مدينات اوديبور تشيتورجار بوندي و جايبور. كانو مدينات قديمة و حلوة كتير. سفرت مع القطار و شفت احال طبيعة بالعلام خصسان لما كنت بالسهرة.
بعدين رحت ع اجرا. كان بدي ازور ال « تاج مهال » بس هيدا البناية كانت مسكر. و رحت ع شط البحر لاشوف ال »تاج مهال » من هون بس كان عندي مشكلات كبيرة لان شورطي اعتقلني و قولني : « شط البحر ممنوع, ما فيك تمشي هون, انت بمركز الجيش. » اخدني ع مركز الشورطة و كان لزم اقول « افوان » لكا الشرطيون و لما خلست كنت حري.
و بوكرا زورت ع دهاي, عصيمة الهند. هي متل مدينة عربية و في كتير قصور و مساجد هنيك.
بعد تلات ايام, رحت ع جوا, بالجنوب. زورت الكنيسات القديمة و بعدين رحت ع شط البحر و شفت الشمس المغريب فوق البحر العربي. و بعدين صبحت بالبحر و مشيت بالأدغال. و بعدين رحت ع الشمال ع المدينة بونة و بعدين رجعت ع مومباي. و هونك, المطار كان مفتوح سعتين قبل ترك الطيرة بس و كان لازم انام بالشرع.

الاكل بالهند كان كتير طيب بس كتير حر كامن و كان عم ابكي كل الوقت لما كان عم اكل. و اكلت كتير خبز و لبان لان الاكل كان كتير حر. كان بدي اكل متل الهنديون و اكلت لحم وحدة مرة بس, بمتعم بالمدينة الاسلامية الوحدة زورتها. الحياة كانت اخرص بلا لحم كامن. و كان عم اشرب شاي و لاسي كل الوقت.

الطقس كان كتير حلو طول الرحلة و ما شفت شتاء. بالجنوب, الطقس كان حر و مشمس كل الوقت بس كتير بريد بالليل.

التقيت كتير اشخاص بالهند. شفت رفاقي من الجامعة بيسكنوهونيك : رفقتي سره بمومباي, رفاقي ريجيس, نيكولا و انوك بدهلي و شرلوط و فينسان ببونة. عن الطريق, التقيت رفاق جديدون و رح اشوفهو بعد سنة بباريس. و الهنديون كانو مديافين كامن و عزمو بمطعم او ببيتهو.

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L’AUB, mon Poudlard libanais.

College Hall et son horloge

« Far, far above the waters
Of the deep blue sea
Lies the campus of the college,
Where we love to be.
Far away, behold Kanisah !
Far beyond, Sannin !
Rising hoary to the heavens,
Clad in glorious sheen.

From Iraq or from Arabia
From the banks so green
Of the Great Egyptian river
Or from Palestine;
From the waters of Abana
Lebanon serene,
We salute thee, Alma Mater !
Oriental Queen.

Hail to thee, our Alma Mater !
We would ever be
Worthy Children. Make us faithful,
Faithful e’er to thee !
Whereso’er the land that calls us,
E’en across the sea,
We’ll salute thee, Alma Mater,
Hail ! O Hail ! To thee.

Chorus : Look before us !
Shout the chorus !
See the banner wave.
AUB in the we glory ;
Make us true and brave. »

Ce poème est un hymne à la gloire de mon université. On peut le retrouver dans le petit agenda distribué à chaque étudiant à son entrée à l’université. Comme quoi il existe plus mégalomane que Richard Descoings (directeur de Sciences Po, NDLR).
Lorsque j’effectuai ma rentrée, je me retrouvai dans une ancienne église aux allures harrypotteresques. Pourtant, pas de cérémonie de répartition, ni même de concert d’orgue, juste un simple discours de doyens bredouillants et baignant dans la lumière multicolore apportée par les rosaces. L’orateur, du haut de sa chaire, nous haranguait de félicitations, vantant nos mérites et notre intelligence nous ayant permis d’être acceptés à l’Université Américaine. Mon inquiètude s’éleva quelque peu : mon expérience m’avait appris que plus un discours d’entrée était élogieux envers ses élèves moins ceux-ci les méritaient.

Lieu où nous fûmes réunis pour notre rentrée

A la suite de ces discours ronflants et vides de sens, la séparation des diverses espèces d’étudiants se fit dans une pagaille indescriptible. Une bonne demi-heure après, une fois qu’il ne restait plus que les étudiants internationaux, nous fûmes dirigés – non sans avoir profité d’un copieux petit-déjeuner – vers un test de niveau en arabe. L’organisation légendaire de mon université fit que je passai finalement ce test trois jours plus tard et qu’au bout de deux heures passées à discuter à l’ombre d’un parasol, nous avions le nom de notre Academic Adviser. A la suite de quoi, nous fûmes libérés, libres de découvrir le campus visité à pas de course le week-end précédent.
Le campus de l’AUB est fabuleux. Il est hallucinant, cosmogonique, c’est un roc, c’est cap que dis-je c’est un cap, c’est une péninsule, il est awesome, legendary, merkwürdig, erstaunlich, wunderbar et stupefacente, tout cela à la fois. Bref, c’est mon campus. C’est le plus grand édifice de Beyrouth, occupant à lui tout seul (et deux-trois maisons) un district de Beyrouth. Celui-ci a une allure un peu Poudlardienne : imaginez un immense espace vert, clôt par des murailles percées de temps à autres par quelques portes – la Porte Principale rehaussant cet air de fortification. Au milieu de cette immense forêt à flanc de collines qu’est l’AUB se dresse ça-et-là quelques bâtiments. En face, de Main Gate se trouve College Hall, lui aussi construit au XIXe siècle dans une variante libanaise du néo-gothique qui mélange de façon subtile le retour aux tours, créneaux et l’usage de la pierre massive avec la finesse des arabesques orientales. Sur la droite, dans le même style, s’étendent l’ancienne église puis le Musée Archéologiques, l’un des plus importants de la région. Derrière College Hall et sa Tour de l’Horloge, se dresse la librairie Jaffet. Sur la gauche, quelques bâtiments plus récents à l’architecture plus européenne et n’imitant plus l’art médiéval, à l’esthétique plus pure, aux colonnes cerclées de vigne-vierge, West Hall (siège de la vie étudiante et politique), Fisk Hall et Bliss Hall. Un peu plus loin se trouvent nos dorms, hideuses constructions des années 60. Cet ensemble, pavé d’arbres et de bosquets, parsemés ci-et-là par des bancs, forme l’Upper Campus, résidence des arts nobles, à savoir les Humanités.
En avançant tout droit, il faut traverser la forêt à flanc de colline qui sépare l’Upper-Campus du Lower-Campus. Celle-ci, parcheminée de délicieuses villas et d’un petit Observatoire, est traversée par de petits escaliers qui serpentent à travers la colline et lui donne un charme délicieusement anglais, le beau temps et la végétation méditerranéenne en plus. On arrive alors sur le Lower Campus, aux bâtiments ultramodernes, siège des sciences et du complexe sportif : piscine, court de tennis, terrains de foot et salles de fitness. Par un sombre tunnel – ô que c’est délicieusement romantique ! – on accède à la Plage de l’AUB, située par delà la Corniche (avenue faisant le tour du front de mer beyrouthin) et où la vue est imprenable. Combien d’heures y ai-je passé, écoutant le bruit du ressac, émerveillé par l’écume blanche des vagues qui frappaient les rochers déchiquetés et par la palette infinie, par le camaïeu de bleu qu’offre la mer ! J’ai bien essayé d’y prendre des photos mais aucune d’entre elles ne permettait de restituer la beauté calme et la palette de teintes qui, dans un tohu-bohu de couleurs, venaient me ravir l’âme.
A l’extrémité du Lower Campus, se dressent à nouveau des murailles et des portes, solidement défendues par une petite garnison de gardes (que je décidai, en mon fort intérieur, d’appeler appariteurs). Plus loin, sur la droite, se trouve les dorms des filles, les dorms masculins et féminins étant les deux points les plus opposés du campus. Enfin, en dehors de l’enceinte, de l’autre côté de la rue Bliss, mais contigu au campus, se trouve l’Hôpital de l’AUB qui sert aussi bien d’infirmerie que de faculté de médecine.
L’atmosphère y est grisante. Un tourbillon de voiles qui virevoltent dans un ballet où se mêlent aussi le déhanché aguicheur des libanaises refaites par la chirurgie esthétique et les vociférations des militants des partis politiques libanais. Ici foin des doux débats parisiens entre UNEF et UNI sur augmentation des frais de scolarité et sélection à l’entrée, mais un réel affrontement entre les héritiers politiques des milices libanaises, déchirés non sur des thèmes universitaires mais sur les grandes lignes de la politique libanaise.
Si les cours n’y sont pas de la plus grande qualité – excepté pour un cours d’Histoire de l’Art Islamique qui, en complément des cours d’arabe et libanais qui me font faire de solides progrès, sauve quelque peu mon semestre – je ne m’habitue toujours pas à la contemplation de l’immense palette bleue qui s’étale devant mes yeux à chaque fois que je change de cours. Il est parfois possible, lorsque le nuage de pollution ne s’étend pas sur la banlieue, de voir l’immensité des montagnes recouvertes de blanc, que l’on voit de la fenêtre de ma chambre, calmement dissimulées par la silhouette décharnée d’un immense palmier solitaire.
Une des autres particularités de l’AUB est son invasion par les chats. Ceux-ci formant des légions de plusieurs milliers de membres peuplent l’AUB, envahissant les salles de cours – parfois je crois rêver quand je vois des chats juchés sur les tables des salles de cours lorsqu’à huit heures du matin je me rends en cours – ou empêchent nos professeurs de nous faire cours – je me souviens d’une de nos enseignantes interrompant son cours à la recherche du chat qu’elle supposait être dans la classe et qui se révéla être derrière la porte. Rois de l’AUB, ils le sont surtout la nuit ou lorsque l’AUB est vide. Je fus une fois réveillé par deux chats se battant sur mon balcon, à quinze centimètres de mon oreiller et que je dus poursuivre, en pyjama, vers trois heures et demi du matin jusque dans les escaliers pour les faire disparaître de mon étage. Mon voisin me confia même qu’une fois, alors que la fenêtre de la chambre était cassée, il se réveilla un matin au milieu de félins à moitié sauvages. Et ces chats apportent quelque chose de plus à l’atmosphère si particulière de l’AUB – je me plais à y marcher la nuit, sous les rayons de la lune, ou le week-end lorsque l’université est complètement vide – et je me souviens en particulier d’un samedi matin, à huit heures, où mon chemin était pavé d’une rangée interminable de chats : tous les mètres, juchés sur des pierres ou allongés sur le sol dans une posture majestueuse et m‘observant de leurs yeux globuleux, se dressaient des chats, me faisant passer à l’entrée solennelle d’un temple égyptien.
En dépit de mes désillusions, de l’administration chaotique tant bureaucratique qu’âpre au gain et des cours parfois si wikipédiens, l’AUB vaut le coup, tout simplement par l’atmosphère qui y règne.

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Taxi Drivers

Scènes de la vie d'un bus

« Tut tut tut tut !
– Al jama’eh al amrikiyyeh ?
– Serviceyen !
– La ! »

       Il est mardi matin et un taxi, me voyant marcher dans la rue (situation incongrue s’il en est), vient de me klaxonner. Je m’approche alors de la fenêtre ouverte de mars à novembre appartenant à la vieille Mercedes défoncée. Je lance l’adresse au chauffeur, en arabe. En effet, si le nom le plus usité de mon université est AUB (American University of Beirut), donner l’adresse en arabe permet de diminuer le prix de la course. Les chauffeurs de taxi, à la différence des autres libanais qui, abusés par ma barbe et mon bronzage tardif, voient en moi un de leur compatriote, les chauffeurs de taxi, eux, détectent immédiatement l’étranger. Le chauffeur clame alors un « serviceyen » méprisant. L’adresse que je lui indique est trop éloignée et il cherche à faire doubler le prix de la course. Révolté par sa tentative, je refuse son offre, l’accompagnement du traditionnel hochement de tête vers le haut qui, au Liban, signifie « non ».
Les moyens de transport au Liban sont en effet assez peu variés. L’unique ligne de chemin de fer libanaise n’a pas été reconstruite après la guerre : un pays qui voit ses infrastructures se faire bombarder par l’armée israélienne tous les trois-quatre ans ne peut se le permettre. Pour les trajets non-citadins, le bus est la meilleure option préférable au taxi qui peut aller jusqu’à 10 dollars) : pour 2 000 livres (1€), parfois moins, on traverse alors la moitié du Liban.
Une porte souvent à moitié arrachée, le bus secoue alors son vieux moteur qui hurle à la mort et se lance à l’assaut de l’autoroute. Parfois, une télévision passe une vieille série arabe d’un kitsch absolument délicieux. Les passagers, des gens très pauvres, des immigrés syriens, des réfugiés palestiniens, des domestiques éthiopiens ou philippins me regardent d’un air intrigué. Ils rient en me voyant, un riche, un occidental, un (supposé) chrétien qui prend le bus avec eux ! Ils sont étonnés, ils me dévisagent du regard, mais ils m’aident, m’expliquent comment cela fonctionne, guettent l’endroit où je veux m’arrêter et disent au chauffeur de m’y déposer. Parfois, lorsque nous nous engageons dans la même direction, ils m’accompagnent et m’emmènent au bon arrêt de bus. Une vieille grand-mère palestinienne, voilée, vient s’asseoir à côté de moi. Elle me sourit, elle me parle. Je lui réponds, en arabe, que je ne comprends pas ce qu’elle me dit ; peu lui importe, elle continue. Elle me montre du doigt, le marché arménien, me raconte des anecdotes incompréhensibles. Ses yeux clairs, pleins d’une malice qui ne s’est pas éteinte, ces yeux qui ont vu les guerres et les paix, illuminent par leur acuité et leur clarté le visage frêle et parcheminé de rides profondes, épaissi par la rudesse de l’exil et des travaux pénibles. Descendant à Sin-el-Fil, elle se lève, drapée dans sa robe jaune, me fixe une dernière fois de son regard énigmatique, puis me dit au revoir et disparaît.
En ville, le choix est plus varié : bus, taxi ou service. Le bus est un procédé très aléatoire, très lent et il suit un trajet énigmatique (aucun plan des lignes de bus n’existe). Les taxis, que l’on commande au téléphone, coûtent entre 6 000 et 8 000 livres. Le troisième moyen de transport est le service, un taxi collectif : si l’adresse indiquée convient au chauffeur, il y emmène son client mais peut récupérer d‘autres personnes en cours de route. L’œil affuté, le chauffeur de service remarque le moindre piéton qu’il se met alors à klaxonner frénétiquement. Lancé à 40 kilomètres/heure, il pile soudain pour prendre un client, provoquant des accidents de circulation. Le motard de derrière, qui n’a pu s’arrêter à temps, et vient donc de s’encastrer dans le coffre de la Mercedes, descend de son véhicule pour aller insulter le chauffeur. Hum, il est temps de s’éclipser.
Quelle différence entre le chauffeur parisien et le chauffeur beyrouthin ! Certes, le libanais n’est pas un prince russe en exil, certes il se trompe régulièrement dans ses destinations (aucun libanais n’admettra ne pas connaître une direction, il vous en donnera toujours une aléatoire) mais il est ô combien plus sympathique ! Après son « Tla ! » (« grimpe ! »), j’ouvre la porte de la Mercedes à moitié défoncée et m’installe à côté du chauffeur. En fonction des quartiers et des régions la décoration de la voiture change : bibles sous le pare-brise, crucifix énormes, chapelets accrochés au rétroviseur central, icône de Saint-Charbel sur le frein à main, mains de Fatma dans les taxis musulmans – généralement plus discrets que les taxis chrétiens. Nous démarrons, la conversation s’engage. Le chauffeur qui ne s’est pas laissé abuser par ma barbe, me demande d’où je viens. Il est généralement ravi de savoir que je ne suis pas américain (ou même arménien) mais français (Chirac ! Good !) et encore plus quand je lui parle en arabe. Les chauffeurs les plus avenants à mon égard sont les sunnites, puis les chrétiens, les chiites étant généralement plus méfiants (les religions se reconnaissent au nom indiqué sur la plaque du propriétaire du taxi). Nous parlons études, voyages, amours, politique (« Tu aimes Sarkozy ? »), Liban. Nombreux sont ceux à être étonnés de me voir débarquer dans leur pays : « Mais tu es fou ! Moi je veux quitter au plus vite ce pays de fous ! Il est impossible de vivre ici. » puis leur nationalisme féroce reprend le dessus : « Oui, tu as raison, c’est le plus beau pays du monde ! ». La politique est un sujet sensible : un chauffeur illettré du Kesrouan tenta de m’expliquer ses convictions en montrant le bouchon de sa bouteille de jus d’orange, de couleur orange, voulant ainsi montrer son admiration pour le Général Aoun, à la couleur partisane homologue. Le sang ne fit alors qu’un tour dans les veines d’un vieux phalangiste du service qui se mit alors hurler sur le chauffeur. Si Sarkozy n’est pas très aimé par les chauffeurs, je dois souvent leur expliquer, dans un arabe hésitant et approximatif, parfois métissé d’anglais, que Charles de Gaulle ou Jacques Chirac (« good ! »), pour grands qu’ils fussent avec les nations arabes n’appliquaient pas forcément les meilleures politiques intérieures. « Tonton » Mostafa, un chiraquien pur et dur, m’offrit , en supplément touristique au trajet, une visite guidée et, après avoir évoqué les ambitions politiques de son fils, me laissa son numéro de téléphone. Un autre, qui n’allait pas jusqu’à ma destination, me prit un soir gratuitement pour m’avancer à un endroit où je trouverai plus aisément un service. Ils s’arrêtent en chemin, hurlant une commande à un snack ou un magasin de la rue (burger, cigarettes, jus de fruit) qui leur est aussitôt apportée et me proposent aimablement de partager celle-ci avec moi. Et je ressens toujours un sentiment de plaisir et de fierté lorsque, au moment où je descends, un des chauffeurs avec lequel j’ai bien parlé me dit au revoir de façon plus respectueuse et amicale que le traditionnel « yallah bye » : que dieu te garde, la paix sur toi (un musulman n’adresserait jamais cette salutation religieuse à un inconnu aussi ouvertement identifié « chrétien » tel que moi), m’appelle « Habibi Zeituné » (traduction de mon prénom en arabe) ou me serre la main. L’un d’entre eux me reconnut le lendemain dans la rue (dans un quartier différend) et me fit un grand geste de la main en me criant « My friend ! My friend ! »
Mais tous les trajets ne sont pas aussi idylliques : certains d’entre eux tentent d’arnaquer l’occidental. Pris sur le fait, ils sont généralement gênés et se confondent en excuses, s’accusant de lapsus. Certains, qui ont accepté la course à 2 000 LL, voyant le trajet durer une éternité – souvent à cause de leurs erreurs de direction – décident finalement de faire doubler le prix de la course. Il est également assez fascinant d’étudier le moyen de communication des chauffeurs : certains d’entre eux semblent parfois jouer au Roi du Silence lors de la sélection du client. Un klaxon ou un signe de la tête permettent de désigner le piéton . Ensuite un mouvement de la tête vers l’avant peut remplacer le traditionnel « lwen ? » : « vers où ? ». Une fois la destination annoncée, le chauffeur peut légèrement hocher la tête vers le haut (refus) ou bien pencher la tête vers la droite (« monte. »). Certains d’entre eux ont d’ailleurs parfois l’air d’être insultés : leur hochement de tête vers le haut peut être accompagné d’un grommellement de mépris tandis que d’autres, auxquels on propose une destination plus lointaine, tentent alors d’arnaquer le client.

                 Il y a enfin les trajets où nous nous entassons : la capacité maximale de ces vieilles Mercedes est de 6 passagers : 4 sur la banquette arrière, prévue pour deux et demi, deux sur le siège avant de droite. Au moins, cela permet de se pencher à la fenêtre pour contempler le paysage.

                 Vous savez quoi ? J’aime bien prendre le taxi.

Quatre personnes sur le siège arrière d'un taxi tripolitain.

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Chocs culturels

            Pipotiste un jour, pipotiste toujours, je ne pouvais pas parler du Liban sans évoquer les aspects politiques et religieux. Je n’ai pas envie de faire un cours sur la politique libanaise, ce qui est assez long et compliqué, et souvent même assez répugnant, mais j’avais envie d’évoquer ce qui m’avait frappé au cours de mes premiers jours au Liban.

            Ce qui est assez frappant, c’est l’occupation symbolique de l’espace par les emblèmes politiques. Les quartiers de Beyrouth portent la couleur politique du parti dominant. Sur les murs, ce sont graffitis et affiches de l’emblème du parti, de leaders politiques charismatiques (Bachir Gemayel – président assassinné – pour les phalanges et les forces libanaises chrétiennes, imam es Sadr pour le parti chiite Amal, Hassan Nasrallah pour le Hezbollah, Rafiq Hariri pour le parti sunnite Futur) ou locaux et parfois même des portraits de Bachar el-Assad ou autres joyeusetés, banderoles à travers la rue faisant de la propagande pour le parti (et même au-dessus de l’autoroute entre Jounieh et Beyrouth, zone à majorité chrétienne). Dans les villages, la situation varie. Parfois, si le maire est riche, il installera le drapeau du parti sur chaque poteau électrique, d’autres seront moins marqués, surtout si le village est divisé en deux camps, c’est-à-dire les aounistes et les Forces Libanaises-Phalanges (je parle ici des villages chrétiens, n’ayant pas encore eu l’occasion d’en visiter de musulmans). Chaque village possède son propre local politique et même plusieurs lorsque plusieurs partis se disputent le village (ce qui n’est pas toujours le cas). Je visitai l’un de ces villages, deux partis y étant en lice, le Courant Patriotique Libre du Général Aoun face aux Forces Libanaises. Sur la « maison » des aounistes, en sus de la grande affiche orange  que surplombait une photo géante du général Aoun, on pouvait lire « Free Internet & Games », moyen efficace de recruter des jeunes du village. Ailleurs, on peut soudain trouver, sur un espace public, une grande photo de 4 mètres sur 10 mètres du député ou autre figure politique qui habite le quartier, entourée par le drapeau libanais à gauche et celui de son parti à droite. Partout, la paranoïa est grande : à l‘approche de la résidence d’une célébrité politique, d’un champ d’entraînement de l’armée ou d’un bâtiment important (ministère, ambassade mais aussi lycée français, bâtiment de la sûreté générale…), se trouvent des militaires en uniforme qui, la kalachnikov au poing, arrêtent votre voiture pour jeter un coup d’œil à l’intérieur, mais sans toutefois y jeter un coup d’œil, ce qui rend ces précautions totalement inutiles. Une fois, un ami ne vit pas tout de suite les soldats et ce n’est qu’en voyant au dernier moment l’un d’entre eux pointer sa mitraillette sur nous (dans ce cas, ils ont le droit de tirer) qu’il pila ; nous fûmes alors interrogés et ma qualité de français nous épargna des désagréments. A l’heure où je vous écris, j’habite dans le logement de fonction de la proviseure (Word me dit que c’est une faute d’orthographe mais je tiens à rester féministe, n’en déplaise à mes lecteurs) du Lycée Français de Beyrouth et nous sommes gardés par des militaires, notre ligne étant sur écoute. L’ambassade du Canada ressemble à un bunker ; le Centre-Ville a des allures de camp retranché : à la sortie de chacune des rues qui mère à l’extérieur du complexe piétonnier se dresse une guérite de l’armée avec des militaires et des grilles.

            Si les édifices religieux sont omniprésents en ville, ce n’est rien à côté des villages. Dans la région où j’étais, Kesrouan (qui est à 90-95 % chrétienne, certains villages chiites apparaissant de temps à autre), chaque village chrétien n’accueille aucun musulman, qui ne pourrait pas nouer de contacts sociaux (la même situation prévaut côté musulman), et très peu de chrétiens d’un rite différent de celui de l’église du village. Tous les cinquante mètres, au milieu de la rue, à un carrefour, dans une niche d’une maison, sur un rocher au bord de la route, se dresse un symbole chrétien (dans la plupart des cas, une statuette de la Vierge dans une cage de verre) qui affirme l’identité chrétienne de la région et est une manière de marquer le territoire. Partout, se dressent des églises et les monastères y sont légion. Le christianisme vécu au Liban est très différent de tout ce que j’ai expérimenté en France : une Eglise fermée, ultraconservatrice, riche (j’ai vu, de mes yeux vu, des moines rouler en 4×4). Les superstitions y restent fortes : je visitai un monastère où des pèlerins venaient nombreux prier dans la cellule d’un moine dont le miracle était d’avoir, en 1990, d’avoir vaincu quatre démons déguisés en moines puis d’avoir été protégé par la Vierge Marie du feu qui les avait consumés. Un ami libanais me confiait également que les ecclésiastiques, dans la village, pratiquent des exorcismes et éloignent le mauvais œil. La piété y est beaucoup plus marquée tant dans la fréquentation de la messe que dans les mentalités : le même ami me disait que l’écrasante majorité des villageoises ne perdait pas leur virginité avant le mariage et quand il arrive que ces règles ne soient pas respectées, l’hypocrisie reste de règle.

            Je finis ici mes trois articles qui n’en sont en fait qu’un seul ; j’espère n’avoir pas fait mon français ethnocentriste (enfin, forcément un peu quand même)  mais voici une vision de mes premières impressions. Beyrouth est une sorte de chaos mais un chaos aux multiples sourires et qui est vivant. Quoi que je puisse dire avec le récit de mes chocs culturels, j’aime cette ville, j’aime ce pays ; je suis heureux.

Photographie du général Aoun, en dessous : "Free Internet & Games"

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Beyrouth

Beyrouth est une ville laide. Détruite, éventrée, martyrisée par la guerre et les tremblements de terre qui l’avaient précédée, il reste peu de bâtiments anciens et seule une petite partie du centre ville a été restaurée, présentant à l‘œil une sorte de Nice à l‘architecture arabe, avec ses petites ruelles étroites et propres, surchargées de boutiques de luxe, lui donnant un air surnaturel et aseptisé. A l’Ouest, la ville arabe est relativement préservée de la frénésie immobilière et offre de vieux palais aux façades décrépies jouxtant des immeubles semi-modernes ; à l’Est se côtoient des immeubles hideux construits à la va-vite après la guerre pour subvenir au besoin pressant de logements et les tous aussi hideux immeubles de standing de quinze étages (dont l’architecture ressemble à ce qui était considéré comme moderne dans les années 60) construits par des promoteurs immobiliers qui détruisent les maisons traditionnelles beyrouthines des XVIIIe-XIXe siècles. Par-ci par-là quelques vieilles maisons résistent à l’appel du billet vert. Au Liban, les Eglises m’ont paru offensives, conquérantes, dressant sans doute de hauts clochers pour faire face aux minarets des mosquées et sont surplombées de croix géantes qui affirment l’identité du quartier. Le Liban est un petit pays qui manque de place et connaît la multiplication des résidences secondaires. De ce fait on parle des différentes villes Beyrouth, Byblos, Jounieh…etc et des villages des alentours alors qu’en fait tout est urbanisé en continu – surtout sur la côte – formant une seule ville. Même ce que les libanais appellent des villages, dans la montagne, sont presque des villes, avec des énormes barres d’immeubles et couvrent entièrement l’espace de bâtiments : à mille mètres d’altitude, je n’arrive pas à voir un panorama, même dans les zones boisées qui ne soit pas urbanisé.

            Beyrouth est une ville laide mais Beyrouth a du charme. Le charme de la rue où se côtoient Porsches, Lamborghinis et Ferraris avec des 404 couvertes de poussière, des coccinelles tombant en lambeaux et les vieilles Mercedes défoncées faisant office de taxi. Le charme des petites venelles aux montées escarpées, aux trottoirs défoncés certes, mais qui ouvrent sur des cavernes d’Ali Baba, des magasins regorgeant de marchandises incroyables et que l’on pense souvent invendables ; des petites venelles où sont assis, sur des bancs improvisés, les boutiquiers, leurs clients, leurs amis et une bonne partie de la rue, qui vient s’asseoir là, boire une tasse de thé, jouer, discuter des derniers ragots ou tout simplement voir la vie s’écouler. Soudain, se dressera une vieille épicerie qui, au milieu des drapeaux libanais et des affiches du leader politique local qu’il soit chrétien, sunnite ou chiite selon les quartiers, proposera d’anciennes publicités marbrées, de rouge, de vert, de jaune, de noir et de blancs de produits depuis longtemps oubliés en France. Beyrouth est la ville où au milieu d’une multitude d’immeubles immondes se dressera soudain un bijou romantique, un palais du XVIIIeme siècle de style arabo-vénitien, aux balcons élégants et en dentelles de pierre, finement ciselés, au milieu d’un immense jardin où fleurissent les acacias. De temps à autre, désormais rares, dans les zones où ont eu lieu des combats, se dresseront les immeubles « à climatisation intégrée » percés par des obus et les éclats de milliers de balles, et parfois ceux seront ceux-là mêmes qui se paraient d’exquises scupltures et de balcons majestueux. Beyrouth est la ville où l’on grille un feu rouge devant le policier passif ou discutant avec ses amis. Lorsque l’on regarde Beyrouth la nuit, on voit soudain un quartier se plonger dans le noir, à cause de la coupure de l’électricité étatique puis, peu à peu, au fur et à mesure que les moteurs des immeubles démarrent, s’illuminer lentement.

            A vrai dire, le seul beau quartier de Beyrouth, le Centre-Ville, où les magnifiques immeubles ont été conservés et restaurés, quartier propre et repeint, tout constellé de boutiques de luxe, de banques et de sièges sociaux, ville arabe aseptisée par un luxe qui se veut occidental et qui draine les saoudiennes en burqa, le seul beau quartier donc est le seul qui n’ait pas d’âme.

            Dans le monde arabe, Beyrouth fascine parce qu’elle est la porte d’entrée de l’Occident. Mais ce qui frappe le voyageur européen quand il arrive c’est que le Liban est plus occidental que l’Occident lui-même. Le Liban est le royaume de billet du vert, ici tout se vend et s’achète, de la plage au nombre de chiffres de la plaque d’immatriculation (certains sont prêts à dépenser plusieurs dizaines de milliers de dollars pour avoir peu de chiffres). Les concessionnaires Porsche et les boutiques Rolex fleurissent partout, Beyrouth est un immense magasin. Partout dans les rues les publicités agressent l’œil, l’autoroute entre Jounieh et Beyrouth en est le passage le plus remarquable : des dizaines de milliers de panneaux publicitaires font de l’œil au chaland et leur multitude frénétique est si élevée que l’on ne parvient même pas à en voir la moitié. La majorité d’entre eux proposent une occidentalité rêvée avec des produits de luxe auxquels correspondent des prix effarants et des slogans publicitaires ahurissants (une affiche avec une femme, un collier de diamants et un slogan : « Feed her desire »), ne laissant la place qu’à une société de consommation hurlante.

            Il serait également possible d’écrire un livre sur la manière de conduire des Libanais. Le principe est assez simple : chaque espace libre doit être occupé et chacun cherche à aller le plus vite possible. Il faut donc s’insérer dans une file qui avance plus vite en doublant soit par la gauche soit par la droite. Le moment où l’on double est le plus tendu puisque chacun cherche à faire une queue de poisson à l’autre. Il faut être du bon côté et faire suffisamment peur à l’autre pour qu’il accepte de nous laisser passer ou de ne pas s’insérer. Au moindre contact avec les autres usagers, tels qu’à des moments comme ceci, il est d’usage de klaxonner, à tel point qu’il serait utile d’instaurer un système permettant de maintenir le klaxon appuyé. Certains feux sont respectés d’autres pas, certains mêmes par une partie des conducteurs et pas par les autres. Une chaussée à deux voies devient rapidement à quatre voies, voire même plus, les conducteurs utilisant la bande d’arrêt d’urgence ou se mettant sur les pointillés entre les deux voies pour mieux se faufiler. En ville, pour aller plus vite, les deux roues circulent sur la chaussée séparée en sens inverse. Dès que l’on s’écarte de la ville, et surtout le soir, on peut aller plus vite et c’est le moment où les libanais prennent des virages à 180° sur des petites routes de montagne à 60-70 km/h. Il est aussi d’usage de doubler dans les tournants, il faut avoir le pied sur le frein pour le moment où le taxi devant vous s’arrêtera net parce qu’il a vu un piéton, c’est-à-dire un client potentiel. J’ajoute d’ailleurs au dernier moment qu’il n’y a qu’ici que j’ai vu deux voitures rouler en sens inverse sur la chaussée séparée d’une autoroute (commentaire d’une amie : « Non, mais c’est normal, c’est qu’il y a trop de circulation, ils ont dû faire demi-tour. _ Ah. »)

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Voyage

            Orly. Dans l’immense salle d’attente où se mêlaient islamistes barbus et jeunes occidentales à moitié dévêtues, parmi le brouhaha incessant de milliers de conversations, seul, perdu, j’attendais mon avion. Je venais de dire adieu à ma sœur et, comme dans un songe, je laissais peu à peu la France derrière moi, au fur et à mesure que les paroles indistinctes en des langues étranges et exotiques se mêlaient autour de moi, formant un hymne au voyage. J’étais perdu comme dans un songe : je savais clairement que je quittais la France, que je partais m’exiler un an au Liban mais je n’arrivais toujours pas à réaliser ce que signifiaient ces mots que je me répétais inlassablement.

            Sur une dernière note de Brel, Ah mon Dieu que c’est triste Orly le dimanche, l’hôtesse nous appela et, moutons bien éduqués, nous nous massâmes devant l’entrée. Mon âme romantique était déçue de ne pas monter par le biais des escaliers démontables qui peuplent les tarmacs d’aéroports dans les films dont je m’étais nourri. Déjà, le turc m’environnait ; je n’étais plus en France. Je gagnai ma place, ravi qu’elle fût au bord de la sortie de secours tant pour le plaisir d’étendre mes jambes que pour l’honneur d’avoir à ouvrir la sortie de secours en cas d’accident.

            Nous décollâmes. Si les Alpes furent couvertes tout au long du trajet d’épais nuages impénétrables, le ciel se découvrit au dessus de la Slovénie, me permettant d’apercevoir Ljubjana, Zagreb, puis Belgrade et les boucles du Danube enlaçant le Voïvodine. Je m’endormis au dessus de la Bulgarie, me réveillant à l’approche de la frontière turque. S’approchant de la côte, l’avion changea de direction et nous survolâmes les eaux calmes et bleues de la mer de Marmara pour s’approcher d’Istanbul. Constantinople était recouverte d’un nuage de pollution et je ne pus apercevoir rien d’autre que les petites îles qui en sont les avant-postes. Ce n’est qu’à 50 mètres au dessus du sol, alors que nous étions déjà au-dessus de la rive asiatique, que je pus avoir une image de la ville. Istanbul était alors une forêt d’immeubles de béton où surnageait, à chaque pâté de maisons, une immense mosquée, au dôme ouvragé et porteuse d’un minaret pointu. Ce fut la multitude des mosquées, aussi serrées et nombreuses que les églises dans un village espagnol, qui m’étonna. Cette vision fugitive s’estompa vite, nous atterrissions.

            L’aéroport d’Istanbul était un endroit irréel. Un lieu ultramoderne et grandiloquent, une enclave occidentale, comme déposée par une courbure de l’espace temps dans une ville populaire, orientale et surtout vivante, trépidante, au contraire du calme glacé et aseptisé de l’aéroport, où le bruissement de l’eau des fontaines glissant sur les galets importés se mêlait au frottement d’encaustique des femmes de ménage venues de pays du tiers-monde. Une immense baie vitrée propre offrait une vue sur Istanbul, permettant au touriste qui n’était pas attiré par les bars à cocktails d’apercevoir la ville, tout en établissant une frontière entre le riche, l’homme d’affaires mondialisé, de mon côté, et le pauvre, immobile, de l’autre.

            Je fis un tour dans le quartier des duty-free. Au milieu des amoncellements de Rollex, de bouteilles de whisky, de parfums Dior et de paquets de cigarette, se tenait une librairie. Sur un présentoir séparé, au milieu de la boutique, un pan de mur spécialement réservé pour lui, tel un Coran sur le mur d’une mosquée, trônait un livre sur Abdullah Gül. Plus loin, les livres en anglais se répartissaient parmi les thèmes suivants : Histoire de la Turquie, de l’Islam, génocide juif et croisades. Je trouvais assez fascinante la différence dans les mémoires collectives de la place accordée aux croisades entre le monde islamique et européen. Je finis ma visite et partis prendre l’avion alors que le jour déclinait.

            La nuit étant tombée avant le décollage je n’eus pas l’occasion d’apercevoir les eaux de la Méditerranée. Les premières choses que je vis furent les lumières de Beyrouth. Alors que nous descendions vers la ville et que je contemplais pour la première fois les lumières de la Ville, j’eus ce sentiment que l’on éprouve quand on regarde la personne que l’on aime. J’aimais Beyrouth, et je ne voyais pas la ville éventrée mais celle nue, drapée de dignité dans la profondeur de la nuit, avec pour seul visage les lumières de ses immeubles.

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