College Hall et son horloge
« Far, far above the waters
Of the deep blue sea
Lies the campus of the college,
Where we love to be.
Far away, behold Kanisah !
Far beyond, Sannin !
Rising hoary to the heavens,
Clad in glorious sheen.
From Iraq or from Arabia
From the banks so green
Of the Great Egyptian river
Or from Palestine;
From the waters of Abana
Lebanon serene,
We salute thee, Alma Mater !
Oriental Queen.
Hail to thee, our Alma Mater !
We would ever be
Worthy Children. Make us faithful,
Faithful e’er to thee !
Whereso’er the land that calls us,
E’en across the sea,
We’ll salute thee, Alma Mater,
Hail ! O Hail ! To thee.
Chorus : Look before us !
Shout the chorus !
See the banner wave.
AUB in the we glory ;
Make us true and brave. »
Ce poème est un hymne à la gloire de mon université. On peut le retrouver dans le petit agenda distribué à chaque étudiant à son entrée à l’université. Comme quoi il existe plus mégalomane que Richard Descoings (directeur de Sciences Po, NDLR).
Lorsque j’effectuai ma rentrée, je me retrouvai dans une ancienne église aux allures harrypotteresques. Pourtant, pas de cérémonie de répartition, ni même de concert d’orgue, juste un simple discours de doyens bredouillants et baignant dans la lumière multicolore apportée par les rosaces. L’orateur, du haut de sa chaire, nous haranguait de félicitations, vantant nos mérites et notre intelligence nous ayant permis d’être acceptés à l’Université Américaine. Mon inquiètude s’éleva quelque peu : mon expérience m’avait appris que plus un discours d’entrée était élogieux envers ses élèves moins ceux-ci les méritaient.
Lieu où nous fûmes réunis pour notre rentrée
A la suite de ces discours ronflants et vides de sens, la séparation des diverses espèces d’étudiants se fit dans une pagaille indescriptible. Une bonne demi-heure après, une fois qu’il ne restait plus que les étudiants internationaux, nous fûmes dirigés – non sans avoir profité d’un copieux petit-déjeuner – vers un test de niveau en arabe. L’organisation légendaire de mon université fit que je passai finalement ce test trois jours plus tard et qu’au bout de deux heures passées à discuter à l’ombre d’un parasol, nous avions le nom de notre Academic Adviser. A la suite de quoi, nous fûmes libérés, libres de découvrir le campus visité à pas de course le week-end précédent.
Le campus de l’AUB est fabuleux. Il est hallucinant, cosmogonique, c’est un roc, c’est cap que dis-je c’est un cap, c’est une péninsule, il est awesome, legendary, merkwürdig, erstaunlich, wunderbar et stupefacente, tout cela à la fois. Bref, c’est mon campus. C’est le plus grand édifice de Beyrouth, occupant à lui tout seul (et deux-trois maisons) un district de Beyrouth. Celui-ci a une allure un peu Poudlardienne : imaginez un immense espace vert, clôt par des murailles percées de temps à autres par quelques portes – la Porte Principale rehaussant cet air de fortification. Au milieu de cette immense forêt à flanc de collines qu’est l’AUB se dresse ça-et-là quelques bâtiments. En face, de Main Gate se trouve College Hall, lui aussi construit au XIXe siècle dans une variante libanaise du néo-gothique qui mélange de façon subtile le retour aux tours, créneaux et l’usage de la pierre massive avec la finesse des arabesques orientales. Sur la droite, dans le même style, s’étendent l’ancienne église puis le Musée Archéologiques, l’un des plus importants de la région. Derrière College Hall et sa Tour de l’Horloge, se dresse la librairie Jaffet. Sur la gauche, quelques bâtiments plus récents à l’architecture plus européenne et n’imitant plus l’art médiéval, à l’esthétique plus pure, aux colonnes cerclées de vigne-vierge, West Hall (siège de la vie étudiante et politique), Fisk Hall et Bliss Hall. Un peu plus loin se trouvent nos dorms, hideuses constructions des années 60. Cet ensemble, pavé d’arbres et de bosquets, parsemés ci-et-là par des bancs, forme l’Upper Campus, résidence des arts nobles, à savoir les Humanités.
En avançant tout droit, il faut traverser la forêt à flanc de colline qui sépare l’Upper-Campus du Lower-Campus. Celle-ci, parcheminée de délicieuses villas et d’un petit Observatoire, est traversée par de petits escaliers qui serpentent à travers la colline et lui donne un charme délicieusement anglais, le beau temps et la végétation méditerranéenne en plus. On arrive alors sur le Lower Campus, aux bâtiments ultramodernes, siège des sciences et du complexe sportif : piscine, court de tennis, terrains de foot et salles de fitness. Par un sombre tunnel – ô que c’est délicieusement romantique ! – on accède à la Plage de l’AUB, située par delà la Corniche (avenue faisant le tour du front de mer beyrouthin) et où la vue est imprenable. Combien d’heures y ai-je passé, écoutant le bruit du ressac, émerveillé par l’écume blanche des vagues qui frappaient les rochers déchiquetés et par la palette infinie, par le camaïeu de bleu qu’offre la mer ! J’ai bien essayé d’y prendre des photos mais aucune d’entre elles ne permettait de restituer la beauté calme et la palette de teintes qui, dans un tohu-bohu de couleurs, venaient me ravir l’âme.
A l’extrémité du Lower Campus, se dressent à nouveau des murailles et des portes, solidement défendues par une petite garnison de gardes (que je décidai, en mon fort intérieur, d’appeler appariteurs). Plus loin, sur la droite, se trouve les dorms des filles, les dorms masculins et féminins étant les deux points les plus opposés du campus. Enfin, en dehors de l’enceinte, de l’autre côté de la rue Bliss, mais contigu au campus, se trouve l’Hôpital de l’AUB qui sert aussi bien d’infirmerie que de faculté de médecine.
L’atmosphère y est grisante. Un tourbillon de voiles qui virevoltent dans un ballet où se mêlent aussi le déhanché aguicheur des libanaises refaites par la chirurgie esthétique et les vociférations des militants des partis politiques libanais. Ici foin des doux débats parisiens entre UNEF et UNI sur augmentation des frais de scolarité et sélection à l’entrée, mais un réel affrontement entre les héritiers politiques des milices libanaises, déchirés non sur des thèmes universitaires mais sur les grandes lignes de la politique libanaise.
Si les cours n’y sont pas de la plus grande qualité – excepté pour un cours d’Histoire de l’Art Islamique qui, en complément des cours d’arabe et libanais qui me font faire de solides progrès, sauve quelque peu mon semestre – je ne m’habitue toujours pas à la contemplation de l’immense palette bleue qui s’étale devant mes yeux à chaque fois que je change de cours. Il est parfois possible, lorsque le nuage de pollution ne s’étend pas sur la banlieue, de voir l’immensité des montagnes recouvertes de blanc, que l’on voit de la fenêtre de ma chambre, calmement dissimulées par la silhouette décharnée d’un immense palmier solitaire.
Une des autres particularités de l’AUB est son invasion par les chats. Ceux-ci formant des légions de plusieurs milliers de membres peuplent l’AUB, envahissant les salles de cours – parfois je crois rêver quand je vois des chats juchés sur les tables des salles de cours lorsqu’à huit heures du matin je me rends en cours – ou empêchent nos professeurs de nous faire cours – je me souviens d’une de nos enseignantes interrompant son cours à la recherche du chat qu’elle supposait être dans la classe et qui se révéla être derrière la porte. Rois de l’AUB, ils le sont surtout la nuit ou lorsque l’AUB est vide. Je fus une fois réveillé par deux chats se battant sur mon balcon, à quinze centimètres de mon oreiller et que je dus poursuivre, en pyjama, vers trois heures et demi du matin jusque dans les escaliers pour les faire disparaître de mon étage. Mon voisin me confia même qu’une fois, alors que la fenêtre de la chambre était cassée, il se réveilla un matin au milieu de félins à moitié sauvages. Et ces chats apportent quelque chose de plus à l’atmosphère si particulière de l’AUB – je me plais à y marcher la nuit, sous les rayons de la lune, ou le week-end lorsque l’université est complètement vide – et je me souviens en particulier d’un samedi matin, à huit heures, où mon chemin était pavé d’une rangée interminable de chats : tous les mètres, juchés sur des pierres ou allongés sur le sol dans une posture majestueuse et m‘observant de leurs yeux globuleux, se dressaient des chats, me faisant passer à l’entrée solennelle d’un temple égyptien.
En dépit de mes désillusions, de l’administration chaotique tant bureaucratique qu’âpre au gain et des cours parfois si wikipédiens, l’AUB vaut le coup, tout simplement par l’atmosphère qui y règne.